03. Réactions machinales
Une méthode simple pour faire gagner à vos commanditaires autant d’argent que de prestige, c’est d’infantiliser ses clients. Car finalement les gens (et quand je dis « les gens », je parle bien entendu des autres) ne savent pas ce qu’ils devraient vouloir. Tels des enfants, il faut les éduquer, leur apprendre comment penser et donc comment mieux consommer (ce qui signifie, bien sûr, consommer en masse ce que votre commanditaire leur propose). Un des exemples les plus brillants se cache dans l’évolution des distributeurs automatiques.
Les distributeurs de billets, premières machines s’adressant aux humains par un écran, étaient au départ conçues par des programmeurs dépourvus d’imagination comme de connarderie.
Puis des connards ont commencé à s’emparer du concept. Le but étant de déresponsabiliser au maximum le client, en s’assurant que la machine se mette à contrôler l’humain. Cela a commencé avec les bornes de paiement automatique des parkings. Même si je n’y étais pas, je suppute que la réunion de conceptualisation a dû se passer comme ça :
Ce genre de machine horripilante, qui vous dicte comment vous comporter à coup de couleurs flashy et de polices d’écriture XXL, a pris la pleine mesure de ses capacités d’emmerdement dès qu’on a commencé à les équiper de haut-parleurs.
Le son de ces machines n’est pas réglé trop fort par respect pour les personnes âgées et les malentendants. C’est conçu pour vous coller la frousse. Pour rappeler au primate en vous que grimper à l’arbre le plus proche reste une solution.
Vous vous souvenez de cette grosse bêtise que vous avez faite, quand étiez petit enfant ? Cette fois où vos parents vous ont fait les gros yeux, ont pris une voix très forte et très grave pour se fâcher tout rouge… Non ? Pas de problème : ce distributeur est là pour vous le rappeler.
Si le bâton est un bon moyen d’éduquer la clientèle de votre commanditaire, il ne faut pas pour autant négliger la carotte. Proposer une interface aussi ludique, colorée et criarde qu’un vulgaire dessin animé vous assurera un dressage efficace et des consommateurs dociles.
Ceux d’entre vous qui croient encore que « le client est roi » peuvent refermer cet ouvrage et aller postuler au Pôle Emploi du royaume des Barbapapa. Le client est une feignasse qui coûtait bien trop cher en service et en relations humaines. Le client est un enfant qui n’attend qu’une chose : qu’on lui apprenne à travailler lui-même à son propre service. L’infantiliser, c’est en somme le meilleur moyen de le rendre autonome. Mais pour cela, il est indispensable de lui apprendre à obéir aux machines et automates qui, elles, savent réduire nos coûts.