02. Les méchants objets
Il peut arriver, de temps en temps, qu’on ait l’impression que le monde nous en veut. Que l’univers se ligue contre nous. Que les objets du quotidien sont possédés d’une intention maléfique visant à nous nuire tout en augmentant sensiblement les risques d’accidents vasculaires et autres arrêts cardiaques.
Mais une fois la frustration et la colère passées, on réalise que l’univers ne tourne pas autour de nous, et on rit d’avoir prêté des intentions maléfiques à de simples outils. On a tort. La plupart des objets sont conçus autour de votre personne. Et ils ne sont pas faits pour être utiles, non… Ils sont fait pour être achetés. Prenons cet exemple tout bête de la vie quotidienne : un déménagement.
Qu’une chose soit claire : ce scotch n’a pas roulé là par hasard. C’est le fruit d’intenses réflexions et d’un long travail d’ingénierie mécanique. Avez-vous remarqué que, dès les premières bandes enlevées, de petites montagnes se forment dans les couches extérieures de chatterton, comme par magie ? C’est normal. Tout est conçu pour que la bataille séculaire entre l’homme et le chatterton se passe toujours de la même manière.
* Le VV est le symbole usuel du « vieux-verglas », unité du Système International de mesure de la glissade (norme ISO 13PG37).
Exemple : 1 VV correspond à un fémur de septuagénaire cassé.
Bien entendu, une telle conception a demandé de nombreuses séries de tests et continue d’exiger un contrôle qualité rigoureux. Cela implique un coût d’investissement non négligeable pour le client. Mais être un bon connard, c’est aussi prendre le temps d’expliquer à ses commanditaires l’intelligence et la créativité d’une ingênerie qu’il a lui-même désirée.
Certains d’entre vous peuvent encore se demander quel est l’intérêt de créer un produit aussi manifestement détestable. De se positionner, par rapport à la concurrence, sur une niche où la praticité est lourdement handicapée. À ces personnes, je conseillerai d’abandonner toute volonté de devenir ingêneur, de cesser la lecture de ce guide et de se consacrer à la confection de paniers en rotin pour leur AMAP favorite.
Les autres savent déjà quelle sera la réaction de Charles-Hyppolite quand enfin il aura attrapé le scotch sadique.
Habituer le client à courir après le produit. Lui courir littéralement après. Faire ressentir à l’utilisateur son besoin impérieux de produit par le biais de la privation. Jouer sur sa frustration pour créer en lui un sentiment de soulagement et d’accomplissement. Des sentiments qu’il associera au produit, puisqu’ils apparaissent juste quand le produit lui vient en main…
Vous croyez encore que les méchants objets n’existent pas ?