19. Donner de l'exercice à ses cobayes
Les expérimentations sur les animaux n'ont plus bonne presse, au grand dam des industries cosmétiques qui se sont vues obligées d'inventer le rouge à lèvres virtuel, le mascara pour bactérie ou la crème de jour pour cadavre… Par chance, pratiquer des tests sur les humains reste encore possible, pour peu que vous le fassiez dans une posture socialement acceptable. Sociologie, anthropologie, ethnologie : les sciences sociales nous offrent ce plaisir mais demandent un investissement coûteux (sous forme harassantes études) pour une rémunération de gagne-petit. Un bon connard préférera donc monter sa start-up du web.
On ne le répétera jamais assez, un bon connard est un flemmard intelligent (voir notre 6$^e$ leçon : Ne faites plus, faites faire). Votre travail ne doit consister, en somme, qu'à créer les règles du jeu, le code faisant Loi. Une application de réseau-sociotage fluide, belle, réactive ne suffit pas : il faut qu'elle attire le chaland. Si votre code-concept de base consiste à mettre en valeur les ego dans un positivisme aussi forcé que le sourire d'une hôtesse de l'air en plein crash aérien ; vous avez déjà fait beaucoup. Reposez-vous donc, et laissez les autres travailler pour vous en leur ouvrant votre outil, comme tout internaute débonnaire le ferait.
Parler avec des astérisques est un talent réservé aux connards professionnels de haut vol. Peu d'entre nous savent présenter leurs arguments sans qu'on n'y voie les conditions écrites à l'encre antipathique et lisibles au microscope atomique. Le jour où vous pouvez inclure l'intégralité du texte de Mein Kampf dans des Conditions Générales d'Utilisation et voir votre clientèle cliquer sur « je suis d'accord et j'accepte », c'est que vous êtes parvenu à une telle maîtrise de votre position dominante. Vous n'avez plus qu'à changer les conditions pour virer les projets extérieurs (ceux qui vous ont aidé à appâter le chaland) et garder les cobayes dans votre labyrinthe de plus en plus fermé.
Dès lors que vos cobayes sont piégés dans votre labyrinthe, libre à vous de les exploiter comme bon vous semble. Bien entendu, vous placerez de la publicité à chaque cul-de-sac et leur demanderez de plus en plus de données à chaque tournant… Mais, outre ce pré-requis de base, c'est là que vos expériences peuvent vraiment commencer. Par exemple, vous prenez deux groupes de cobayes identiques, et montrez des infos positives aux uns tandis que les autres ne verront que le pire des infos qui les entourent…
L'avantage d'avoir des cobayes piégés dans cette avalanche incessante d'informations nivelées et formatées, dans votre infinite scrolling, c'est que tôt ou tard ils participeront au bruit ambiant. Ainsi, leur moindre clic et statut vous permettra de récolter les données du résultat de votre expérimentation sociale.
« Du pain et des jeux… » voilà les besoins du bas-peuple, comme nous l'expliquait un antique Connard. Maintenant que nous sommes civilisés et connectés, on peut mettre à jour l'adage : « si vous avez assez de jeux, oubliez le pain ». Avoir le monde entier au creux de votre main n'est pas une responsabilité, c'est un hobby. Une fois leurs êtres et états bien rangés dans votre ferme de serveurs, vous n'avez plus qu'a vous assurer de repeindre régulièrement les murs de votre prison dorée afin qu'ils n'aient plus jamais besoin d'en sortir. Médias, infos, vidéos, sorties, articles, musiques, dialogues et coup de fil… pourquoi utiliser internet quand on a populr.com
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