09. Le monopole du côlon (3/3)

Publié le 30 avril 2014 par Pouhiou et Gee

Nombres de vos bastardises tournent autour d’un simple objet du quotidien. Nous avons donc décidé de lui accorder un triptyque. Pour cette troisième partie, nos remerciements vont à Fred Urbain, qui a écrit la trame de cet épisode, ainsi qu’à Flork pour ses idées… Nous avons bien digéré vos nourrissantes inspirations, en voici le résultat.

On ne le souligne jamais assez, chaque détail, chaque moment de votre vie est une occasion d’exprimer la malveillance qui sommeille en vous et de la canaliser en une gêne lucrative. Ainsi, déambuler sans but (mais l’oreille aux aguets) dans les locaux de votre commanditaire est une excellente manière de trouver l’inspiration. La scène se passe le matin même devant le bâtiment de Proctos & Logos, alors que je surprends deux employés en pleine pause cigarette…

Cette scène pittoresque du bas peuple m’a permis de me souvenir d’une des bases de notre métier : ne jamais confondre le client et l’utilisateur. Dans les collectivités, les entreprises, les administrations, notre client n’est pas la personne qui va se soulager les entrailles au milieu de faïences fleurant la javel. Celui qui lit son iProud ou son smartfon en loucedé, caché par une mince paroi de contreplaqué qui n’étouffe ni le bruit ni l’odeur. Non : ça, c’est l’utilisateur. Notre client, lui, est le directeur des achats qui n’a qu’un rêve : plaire à la direction afin d’obtenir augmentation, primes exceptionnelles et séminaires tous frais payés.

J’ai donc conçu le module distributeur/rouleau qui serait le plus à même de plaire à ce directeur d’achat. Il fallait le présenter avec l’argumentaire qui permettrait au client de gagner des points auprès de sa direction dans ce grand jeu qu’on appelle : « dis-moi papa-patron que je suis ton enfant-employé préféré histoire que je me sente enfin un humain accompli et que je cesse de financer le yacht de mon psy ». L’objet en lui-même est important, bien entendu, mais pas autant que l’histoire qui l’accompagne. C’est ainsi que j’ai directement conçu ces pages du site web « collectivités et entreprises » de Proctos & Logos.

Mon équipe a ensuite décliné le concept en une gamme. Nous avons déjà vu que, lorsque vous jouissez d’une position monopolistique, la gamme vous permet de multiplier les produits, les identités de clientèle, et donc les gains. Au-delà de l’intérêt financier évident pour votre commanditaire, c’est une quasi-obligation. Car cela permet aux clients finaux d’oublier qu’il sont enchaînés, esclaves dans leur consommation. La variété dans le choix crée un faux sentiment de liberté pour la clientèle et permet d’adoucir l’image de marque de votre commanditaire. Ainsi, le même distributeur existe en modèle de luxe.

La gamme (variations sur le thème d’un même produit) est un moyen de diversion connu de n’importe quel connard professionnel. Il canalise ses envies d’auto-affirmation libertaire dans un choix fermé, et lui fait oublier de questionner les prémisses dudit choix. Il faut donc commencer par un choix facile, comme celui du coloris du produit. Une fois qu’il a joué avec les couleurs de votre site web, il va choisir son produit. Puis ses consommables. Si vous réussissez à ce qu’il s’engage dans l’entonnoir que vous lui proposez, s’il croit que chaque décision lui a appartenu, alors il finira par accepter n’importe quoi afin de valider ses choix, l’expression de sa liberté…

Évidemment, Patrique Quadra fut ravi de mes propositions. Il n’est pas dupe : là où l’on présente des pseudo-économies grâce aux feuilles qui se détachent une à une ou aux rouleaux plus fins et donc plus longs ; il sait qu’il y aura des usagers qui prendront l’habitude d’utiliser un maximum de produit que ce soit en entreprise ou chez eux. En fait dans toutes mes propositions, seule une chose retint son attention dubitative…

Se saisir d’un monopole est une chance rare pour un vrai connard. N’importe quel gestionnaire de monopole de droit d’auteur (ce que la plèbe appelle affectueusement un « artiste ») vous le dira : c’est l’opportunité de laisser tout votre être s’exprimer de manière totale et débridée. Néanmoins, peu d’artistes avoueront que c’est surtout une cure de jouvence pour votre ego ; qui ressent et la fierté parentale du créateur, et la liberté jouissive vécue par sa progéniture. Je me corrige : aucun artiste ne vous l’avouera. C’est normal, ils n’assument pas leur bastardise, les pauvres. Moi, je la revendique.

gucp_scripts